Ma résidence à Centro Negra, à Blanca en Espagne, s’est terminée par la présentation du projet final présenté le 26 mars, aux abords de la rivière Segura. À l’entrée de la ville, huit panneaux noirs peints de lettres blanches qui formaient «PALABRAS» étaient suspendus aux lampadaires pour être lus dans la perspective de la rue, dans le sens de la circulation automobile, et inversement. D’autres panneaux formant le mot «SEGURAS» étaient installés le long de la promenade face au musée de Blanca mais sur l’envers de ces sept panneaux étaient peints de courts textes que j’avais choisis et qui relataient ma rencontre avec sept personnes que j’avais connues à Blanca. Chacun de ces courts textes décrivait une nouvelle dénomination de rue, ruelle ou place, du nom de la personne auquel il référait. Les panneaux pouvaient être lus par les promeneurs et promeneuses, dans cette petite bourgade où personne n’est inconnu.
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¡Más lejos!
Samedi le 12 mars 2016
Avec seulement 8 lettres pour deux mots, j’ai choisi cette fois d’essayer de faire seule la mise-à-l’eau. «Más lejos!» – plus loin – aurait dû s’envoler avec facilité mais ce jour-là, la direction du vent était inversée. Mes panneaux se sont engouffrés sous le pont. J’ai remonté le tout et changé de côté de pont pour faire voler mes mots dans le bon sens du vent mais le courant de la rivière lui ne change pas. Et même en raccourcissant autant que possible la longueur des cordes, mes mots trempaient et partaient dans le courant inverse pour à nouveau, s’empêtrer sous le pont. J’ai remonté le tout pour y remettre de l’ordre et reprendre la manœuvre à nouveau de l’autre côté, mais le tout s’est définitivement bien empêtré.
Deux messieurs de Blanca ont observé mon travail. À la fin, ils sont venus me rejoindre sur le pont et nous avons discuté pendant une bonne demi-heure du projet puis d’eux et de leur histoire. Les deux sont amis d’enfance et sont nés à Blanca. Salvi et Rafa vivent maintenant dans une autre ville de la région mais reviennent visiter leur famille à Blanca et se retrouvent à l’occasion. Les deux sont d’avis que des rues devraient changer de nom pour ne plus faire honneur à certains personnages de l’histoire. Plusieurs personnes à Blanca pensent ainsi mais d’autres pensent aussi que l’histoire est ce qu’elle est et que changer le nom des rues n’y changera rien. Souvent, des gens d’une même famille sont divisés sur ce sujet.
De mon bord, j’observe ceci: mes mots ont un sens mais le contexte leur en donne un autre. La rivière coule de son bord mais le vent souffle autrement. Ça s’emmêle et personne n’y comprend plus rien. Aussi la communication m’est difficile, je ne parle pas la langue; écho aux difficultés techniques que je rencontre.
Je persiste à vouloir faire apparaître des mots dits, sur l’eau. Qui les voit? Qui veut cette tribune? Je veux qu’ils flottent jusqu’au musée, mais l’eau les submerge et le courant les fait chavirer. Alors je veux qu’ils partent au vent, mais le vent tombe ou bien se retourne. À chaque essai, je pense avoir compris, j’ajuste et je recommence.
Donc continuons.
Je constate que la rivière n’est pas le cœur de Blanca. C’est Gran Via, la rue principale, qui est le cœur vivant de la ville. Aussi, Blanca est entourée de miradors. J’aimerais déplacer les mots. Comme une étrangère qui cherche à se faire entendre mais ne parle pas la langue, je sautille pour que mes lettres soient vues mais l’on ne les voit pas. Alors je vais les leur mettre en long et en large au-dessus de la ville, à hauteur de lunettes, sur la pointe du nez.
Et maintenant, quelle sera le prochain naufrage?
Saturday, March 12, 2016
With only 8 letters for two words, this time I chose to try to send alone by myself the letters on the water. « Más lejos! » – further away – should have flew with ease, but that day the wind direction was reversed and made my letter panels engulf under the bridge. I pulled everything out and changed side of the bridge to send the panels in the right direction of the wind but the current of the river being the same, and even by shortening as much as possible the length of the strings, my words would glue to the water and take on the current direction to again become entangled under the bridge. I pulled everything out to untangle the strings and resume the operation again on the primary side, but everything was definitely well entangled.
Two gentlemen observed my work. In the end, they joined me on the bridge and we talked for a good half hour of the project and of themselves and their history. The two are childhood friends and were born in Blanca. Salvi and Rafa now live in another city in the region but return to visit their family and meet again. Both believe that some streets should change names to no longer honor some characters of Spain history. Several people in Blanca think so but others think that history is what it is and that changing the street names won’t bring anything better. Often, people of a same family are divided on this subject.
On my side, I see this: my words have meanings but the context gives them another. The river flows in one direction but the wind blows in another. It gets all tangled and nobody understands anything anymore. Also communication is difficult for me, I do not speak the local language; this echoes to the technical difficulties I meet.
I still want to show the given words on the water. But who sees them? Who wants this platform? I wanted them to float to the museum, but the water immersed them and the current made them crash. Than, I wanted them to fly with the wind, but the wind calmed down or turned direction. With each attempt, I think I get it and put myself to work again.
Therefore let’s move on.
I must admit that the river is not the heart of Blanca. Instead, it is Gran Via, the main street, that is the living heart of the city. Also, Blanca is surrounded by miradors. I would like to displace my operations. Like a foreigner who aims to be heard but doesn’t speak the language, I hops so my letters can be seen but nobody sees them. So I’ll put them above the town, at glasses’ height, at the tip of their nose.
And now, what will be the next wreck?

PALABRAS SEGURAS 2
– mots mis en sécurité – mots confiés à la rivière…………………………….. le 24 février 2016
En espagnol SEGURA signifie sécuriser et assurer. La rivière Segura porte un nom qui appelle aux confidences et à la fiabilité. Elle est la grande veine de la vallée. Elle a une texture douce et onctueuse et nourrit d’innombrables vergers d’oranges et de citrons. Elle est à moitié brouillée par les résidus de calcaire.
Puis PALABRA signifie mot; un son qui agit avec des intentions, qui change avec le temps, les nécessités et les provenances.
Nous confions tant de certitudes dans un mot. Pourtant il est seulement ce qu’il est: un moment de clarté, d’espoir, une réalité fluide qui va disparaître, tout comme la fin de sa résonance. Un écho à la rivière. Les mots sont donc paradoxalement significatifs. Ils semblent immuables et durs; ils peuvent blesser. Mais ils ne sont qu’une rivière qui coule et peuvent être émis de façon insignifiante, au passage.
Ainsi il semble que Palabras Seguras puisse refléter les sens de confier et d’affirmation mais ces deux mots portent des contradictions: fluidité et solidité, sécurité et non-permanence. Le fleuve lui-même représente le temps qui passe et tout ce qu’il contient disparaît constamment en dépit du fait qu’il est immuable.
J’ai travaillé fort pour concevoir et construire le dispositif de treuil à manivelle pour manoeuvrer les mots sur la rivière: toute une journée passée à Murcia, des kilomètres de marche dans et hors de la ville, le temps consacré à trafiquer le dispositif pour le solidifier..
Mais après la première tentative, la très forte tension sur les cordes provoquée par l’entrainement des panneaux dans le courant a discrédité mon système. De plus, l’effet visuel est plus intéressant lorsque les panneaux de lettres sont en suspension dans le vent avant d’adhérer à la surface liquide et d’être immergées. Il y a à ce moment moins de tension sur les cordes accrochées à la balustrade du pont, et je suis plus disponible à la rencontre avec la communauté.
Ainsi s’affirme encore plus la non-permanence. PALABRAS SEGURAS réapparaît en miroir sur la rivière qui s’écoule. Les mots flottent au vent. Au rendez-vous à la balustrade du pont de Blanca, comme une ligne de pêche lancée au vent, entre deux cordes, les mots appellent les mots.
photos: Miriam Barriga Martínez
PALABRAS SEGURAS
– Words put in security – words entrusted in the river…………………. February 24, 2016
In spanish SEGURA means to secure and to assure. The river Segura has a name that calls for confidence and reliability. It is the vein of the valley. Its surface has a smooth moving texture and it nourishes countless orchards of oranges and lemons. It is half blurred by the limestone residues.
Then PALABRA means word; a sound that acts with intentions, that changes with time, necessities and provenance.
We entrust so many certainties in a word. Yet it is only what it is: a moment of clarity, of hope, a fluid reality that will vanish just like the end of its resonance. Echoes on the river. Words are paradoxically so meaningful. They seem solid and unchangeable so they can hurt. But they are only a river flowing and can be said insignificantly, on the go.
So Palabras Seguras may reflect the sense of trust and affirmation but those two words carry contradictions: fluidity and solidity, security and non-permanence. The river itself is time passing by and everything it carries constantly disappears despite the fact that the river remains constant.
I worked hard to conceive and build the crank winch device to maneuver the words on the river: a day trip to Murcia, kilometers of walk in and out of the city, time spent to work to solidify the device…
But after the first attempt, the strong tension on the strings caused by the current pulling on the panels discredited my system. In addition, the visual effect was more interesting when the letters were suspended in the wind before sticking to the liquid surface and being immersed. There is then less tension on the strings attached to the railing of the bridge, and I am available to meet with the community.
PALABRAS Seguras reappears mirrored on the river. The words float in the wind. From the railing of Blanca’s bridge, like a fishing line thrown to the wind, between two ropes, words call for words.

En préparation de projet
Le travail que j’effectue présentement à Blanca demande d’établir une communication avec les gens d’ici. Ne pas parler espagnol ne m’avantage pas. Malgré ceci, les gens sont d’une patience incroyable à mon égard et entrent dans la discussion que je propose en essayant de me faire comprendre ce qu’ils veulent dire. La première personne avec qui j’ai établi un contact qui se réitère, est Pepe, que j’ai croisé sur la «Plaza del 18 de Julio» et où je me suis rendue quelques fois pour dessiner. Il m’a expliqué comment les gens perçoivent le fait que la rue «Generalisimo Franco» soit vouée à être changée de nom, suite à une règle que veut appliquer l’état. Les opinions sont partagées à ce sujet. J’ai aussi connu Fabian et Valentina, qui m’ont accueillie dans leur atelier de couture pour réaliser les panneaux de toile qui flotteront sur le Rio Segura. D’origine roumaine, Florian est arrivé il y a une quinzaine d’années à Blanca. D’abord mercier, c’est-à-dire qui réalise divers travaux d’aiguille d’articles qui servent pour l’habillement et la parure, il a fait divers boulots avant de choisir de s’installer à Blanca. Sa compagne Valentina est alors venue l’y rejoindre il y a une dizaine d’années. Ils ont un fils de 17 ans. Je leur ai demandé comment la communauté de Blanca les avaient accueillis et tous les deux affirment qu’ils ont trouvé ici une place où ils se sentent chez eux. C’est plus qu’un coup de main que j’ai reçu de leur part (Florian, méticuleux, s’est affairé aux machines à coudre et au fer et en deux temps, trois mouvements, le boulot fut vite et magnifiquement fait) par une discussion détournée (Valentina comprend l’anglais, me répond en espagnol, et me précise ce que dit Florian en espagnol) c’est leur vrai perception de l’Espagne qu’ils ont pris le temps de m’expliquer. C’est donc en hommage à ces personnes que je mettrai à l’eau mardi à 17h local, les premiers mots sur le Rio Segura.
Samedi le 13 février dernier, à Murcia.
À 7h48, j’ai pris l’autobus Blanca-Murcia qui met 1h20 par trajet. J’y suis allée pour trouver du matériel et aussi pour me ravitailler en produits bio que je ne trouve pas à Blanca. J’avais noté sur internet toutes les quincailleries et magasins de chasse et pêche susceptibles de détenir une bobine à manivelle, soit de pêche, soit pour boyau d’arrosage, soit un treuil de remorquage.. J’ai marché plus de 10 km à Murcia pour trouver la manivelle en question. Une pas si bonne information m’a fait marcher jusqu’à un secteur hors la ville, où l’établissement en question était fermé ce jour-là. Un samedi, quelle folie! J’ai honte de dire que j’ai trouvé chez Leroy-Merlin, une sorte d’Ikea-Home-Depot français en périphérie de Murcia, mais du côté opposé de la ville. Bon, il fallait..
Puis je me suis chargée à bloc de mes achats bio avant de reprendre le bus de 20h pour Blanca.
Hier, j’ai peint les lettres du premier lemme de mon projet. Aujourd’hui, j’ai préparé la manivelle qui servira de treuil à l’installation. La mise-à-l’eau est pour bientôt.
En résidence d’artiste au Centro Negra à Blanca, Murcie, Espagne, février et mars 2016
1.2. – 30.3.2016 | En Atelier-résidence organisée par AADK – Aktuelle Architektur Der Kultur, au Centro Negra à Blanca, en Murcie, au Sud de l’Espagne. Le travail proposé aura lieu sous la forme de rencontres et d’actions publiques dans l’espace, spécifiquement sur la rivière Segura qui traverse le village de Blanca, et qui sera utilisée comme surface de déambulation et de projection.
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